Roméo

Publié le par Lady Flo

Depuis un an, la vie conjugale de Roméo était un enfer. Tout avait débuté le soir où, sortant du cinéma avec Gladys, ils s’étaient fait braquer par deux grands blacks, armés chacun d’un couteau. Gladys avait défendu ses bijoux et son sac à main avec l’énergie du désespoir, criant, suppliant avant que l’un des malfrats ne la fasse taire d’un aller et retour. Quant à Roméo, en chaussettes sur le bitume, il fallait bien se rendre à l’évidence : il n’avait pas assuré une canette. La vue de ces deux monstres noirs immenses l’avait proprement tétanisé. Il était resté sans voix obéissant comme un toutou aux ordres des deux voyous. Après leur départ sous les insultes de sa femme, il avait repris peu à peu ses esprits, pour mieux éclater en sanglots en réalisant ce à quoi il venait d’échapper. Jamais il n’avait pleuré autant depuis l’âge de sept ans et la mort de Nestor son poisson rouge. Gladys elle-même avait eu pitié et l’avait bercé toute la nuit.

Mais le lendemain Gladys avait changé d’état d’esprit. Ca avait commencé par son refus obstiné de sortir de la maison. Même pour aller au cinéma qui était pourtant ce qu’elle préférait au monde. Ils s’étaient rabattus sur les films de location. Roméo avait laissé passer un peu de temps, mais Gladys était déterminée. Un psy avait été délégué à domicile et venait deux fois par semaine essayer de la ramener au pays des vivants. Mais ça n’était pas le pire : le pire c’est qu’elle trouvait Roméo nul depuis cet accident. Elle passait son temps à lui répéter qu’il n’était pas un homme puisqu’il était incapable de la protéger. Elle lui jetait des regards noirs en permanence, lui parlait à peine et faisait chambre à part. Roméo se désespérait. Il aimait Gladys de toutes ses forces, mais il était peureux voilà tout. Et il ne faisait pas le poids face aux héros des films que sa femme adorait.

Roméo était prof de lettres et dirigeait aussi l’Atelier Théâtre du lycée. En voyant sur scène deux de ses meilleures recrues une idée avait germée. Il offrit un verre aux deux garçons après le cours, leur exposant son plan.

C’était très simple. Il s’agissait pour Jules et Jim de simuler un cambriolage. Ils s’introduiraient dans la maison de Roméo pendant son absence ; effraieraient,  ligoteraient Gladys, et ensuite  laisseraient faire Roméo. Celui-ci s’était concocté une scène de sauvetage digne des supers productions Hollywoodiennes avec bagarres, meubles cassés, tout ça  pour arracher sa blonde aux griffes des monstres sanguinaires. Personne ne risquerait rien dans l’histoire et chacun des garçons serait rétribué pour ce petit service rendu bien que l’expérience du théâtre en « live » constitue déjà une motivation de choix.

Le soir prévu Jules et Jim cassèrent donc la baie vitrée du salon dans lequel Gladys regardait pour la sixième fois Pirates des Caraïbes. Elle resta un moment interdite sur son canapé le nez exactement face au canon d’un revolver. Quatre yeux menaçants la toisaient derrière les cagoules étrangement orange fluo. Une voix autoritaire lui enjoignit de s’allonger sur le canapé et elle se retrouva ficelée avec les embrases des rideaux, la tête tournée vers la télé. Un grand fracas résonna dans la cuisine et Gladys vit arriver Roméo armé du rouleau à pâtisserie. Il se jeta sauvagement sur un des assaillants, essayant de le désarmer. Gladys ferma les yeux pour ne pas voir ce qui allait suivre. Quand elle les rouvrit, elle était seule dans la pièce. Johnny Deep se saoulait au rhum, et des bruits de bagarres provenaient du couloir, puis de la cuisine. Gladys se tortilla sur son canapé réussissant à libérer une main. Quelques secondes après elle montait l’escalier se précipitait dans sa chambre et appelait la police après s’être enfermée à clef. Elle attendit. Sa porte ne s’ouvrit qu’après qu’un flic ait fait passer sa carte en dessous. Elle descendit juste à temps pour voir ses deux agresseurs traînés vers le fourgon : deux gosses. Roméo était assis sur la dernière chaise valide de la cuisine. Sous le regard soupçonneux de l’inspecteur, la tête entre les mains il sanglotait.

 

Publié dans 40 voleurs

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