Thibaud

Publié le par Lady Flo

Il portait des cuissardes de daim vert foncé, un ceinturon en cuir naturel sur un collant de danse. Une tunique beige lui cachait les fesses. Les pouces dans son ceinturon, il secoua la tête, sa coupe au bol s’envolant et se remettant aussitôt en place :

« Aujourd’hui : Tristesse classique »

Dans le halo lumineux du projecteur, il s’avança puis stoppa face au public. Il baissa la tête vers le sol, fit deux pas releva à demi un  visage affligé et prononça : « zig » ; deux pas encore, et le menton un peu plus haut l’œil larmoyant « zag » ; deux pas de plus et dans une grimace horrible « zog »,« zug »  quant à lui sortit d’un visage ravagé par le chagrin quand enfin il s’arrêta.

Un frisson traversa la salle passant sur tous les élèves du cours d’art dramatique. Des rires mal contenus. Un vent d’inquiétude aussi puisqu’un élève désigné était invité à rejoindre Thibaud dans le halo de lumière.

Thibaud était directeur d’un cours de théâtre. Quand il était arrivé dans ce vieil immeuble gothique derrière la gare saint Lazare, lui était venue comme une nostalgie des feuilletons  télévisés de son enfance : Thierry la Fronde, Robin des Bois. Thibaud ne reculait devant rien : Il avait créée de toute pièce La Technique Universelle Du Comédien. Il y avait passé beaucoup de temps, n’avait pas ménagé ses efforts avant d’enfin créer son propre cours. Il avait désormais pignon sur rue à l’instar de ces Florent et autres qui le méprisaient. Mais on allait bien rire ; il montait un atelier révolutionnaire : mobilier moyenâgeux, costumes ad hoc, encens, calme et surtout discipline de fer. Le glas de l’Actor Studio venait de sonner.

Il y avait eu des moments difficiles : le recrutement du personnel en particulier. Il lui fallait un assistant, un comptable, une secrétaire et deux professeurs de plus dont un d’escrime. A priori rien de difficile, mais le casting s’était corsé quand il avait dévoilé à ses futurs employés les contraintes vestimentaires :

Les hommes  à cheveux raides : coupe au bol, les autres : cheveux longs éventuellement catogan. La barbe est autorisée mais pas de montre. Pour le reste : collant, bottes ou cuissardes,  tunique gilet en cuir et ceinturon. Les femmes quant à elles devaient avoir les cheveux longs et porter des robes longues en panne de velours décolletées. Le prof d’escrime n’avait pas fait de difficultés, il faut dire que c’était celui au physique le plus avantageux. Le comptable, lui avait renâclé, et se changeait dans l’escalier avant d’entrer.

Mais tout ça était oublié, il donnait enfin son premier cours dans son école. La salle de répétition était pleine d’apprenties stars aux yeux brillants d’espoir ayant chacune payé d’avance le prochain trimestre de cours. Les caisses étaient bien remplies, la bourse en cuir attachée à son ceinturon aussi.

Le grand dadais rougissant à ses côtés, il commença le cours :

«  Le Théâtre avec ma méthode c’est très simple : L’acteur est là pour donner des émotions, vous êtes bien d’accord ? »

Un murmure lui vint du noir en face, à ses côtés grand Duduche opina du bonnet :

-         Et bien moi, Thibaud Déflandre j’ai répertorié toutes les émotions humaines, j’ai créée une fiche technique pour chacune d’elles. Au cours de cette année vous allez les apprendre  toutes une par une. Et j’aime autant vous dire que y compris pendant les cours d’escrime vous passerez tout votre temps à les répéter ! Aucun texte ne sera prononcé pendant cet apprentissage, juste les syllabes zig, zag, zog, zug afin de ne pas parasiter l’expression pure de chaque émotion. Après ça faites moi confiance, vous pourrez jouer n’importe quoi !

Le lendemain, Thibaud fut très étonné de trouver la porte du cours ouverte. Le dossier du fauteuil ainsi que le capitonnage des murs du bureau étaient striés de zig, zag, zog, zug, à la Zorro. L’épée traînait d’ailleurs sur le bureau de chêne foncé. Le coffre avait été fracturé. Les ingrats !


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