Rémy

Publié le par Lady Flo

Devant son écran Rémi surveille la progression des téléchargements. Rémi est archiviste-mp3, c’est comme ça qu’il se défini vingt ans après les années 80. Ah ! Les années 80 : son heure de gloire ! Il était le leader du groupe  « Ré Mi Fa Do Si », groupe formé de Rémi, Fabienne Dominique et Simon, sorte de Pretenders à la française, enfin c’était ça l’effet recherché.  Sur le mur devant lui, une vieille affiche jaunie les représente : jeunes gens modernes en spencers de chez Kruger, Fabienne en tailleur mini-jupe vert,  boucles d’oreilles en caoutchouc noir et rouge à lèvres vif bien sûr. Les garçons ont des coupes de cheveux sages, mais la guitare qu’il porte bien bas sur les couilles et son déhanchement en disent long sur Rémi, c’est ce qu’il a toujours cru.

Aujourd’hui Rémi planque sa calvitie naissante devant son écran, et télécharge à tour de bras toute la musique qu’il peut trouver sur le Net. Il ne sait plus très bien comment ça a commencé mais il se souvient de sa rage quand il s’est rendu compte qu’il était impossible de trouver leur disque : Le Disque, de l’acheter et donc à fortiori de l’écouter.

Leur maison de disques n’existait plus, avalée par une Major comme beaucoup d’autres. Il avait écumé les Puces, les disquaires des Halles, les conventions spécialisées. Rien. Leur trace semblait avoir disparue à l’instar de bien des groupes de l’époque. Que restait-il des Casino Music, des Avions, de Suicide Roméo ? Rien. Où trouver ces œuvres impérissables ? Nulle part. C’était ça la dure réalité !

Un vendeur de la Fnac, lassé de le voir écumer ses bacs avec l’air dégoûté lui avait un jour conseillé goguenard :

«  Pour trouver des vieilleries, il faut aller sur le net, les sites de peer to peer ! »

Rémi avait toisé le jeune con en rentrant son ventre dans le 501 noir qu’il portait constamment et était parti furieux.

Très vite au premier succès, le groupe avait splitté, c’est comme ça qu’on disait à l’époque. D’abord ça avait été Fabienne qui s’était crue obligée de jouer les Anita Pallenberg passant de l’un à l’autre des membres  du groupe avec le résultat qu’on imagine.

Domi avait découvert la femme de sa vie dans l’héro, Simon lui c’était l’alcool qu’il préférait et les boîtes de nuit. Quant à Rémi, il devait bien l’avouer, c’était plutôt la grosse tête qu’il s’était choppée : genre voyages et pépées de luxe. Ca avait duré six mois avant qu’il ne se retrouve dans une merde noire, une chambre miteuse sous les toits à République pour tout palace. Il avait dû vendre pas mal de ses vinyles à cette occasion aussi bien par manque de place que par manque de ressources. Mais tout ça n’excusait rien. Il se sentait floué de son passé, effacé comme d’un coup de gomme

Quelque semaines après sa visite à la Fnac, il était allé avec son pote Jim s’acheter un ordinateur. Jim le lui avait installé, branché sur le haut débit, et lui avait expliqué les arcanes du téléchargement. Depuis Rémi téléchargeait. Ah ! l’excitation qu’il avait ressentie en voyant s’afficher un par un sur son écran les morceaux de leur album ! Quelqu’un l’avait donc gardé toutes ces années, avait pris la peine de le numériser, pour le mettre sur la toile ! Quelqu’un les aimait vraiment ! Mais qui ? Il n’avait aucun moyen de le savoir, même si des fois il s’imaginait une trentenaire sexy affolée par ses riffs lui envoyant des mails torrides. Très vite il avait cherché d’autres choses, des versions différentes de mêmes morceaux, des raretés. Il engrangeait les morceaux, rêvant de les faire partager à la terre entière.  Après la bibliothèque d’Alexandrie, il créerait lui, la  Grande Discothèque Rock du Net. A Rémi, la Patrie Rock reconnaissante ! Mais c’était bien sûr impossible, les censeurs veillaient : les Majors jetaient l’opprobre sur les sites de peer to peer, des procès  d’internautes avaient  lieu. Cela dit les accusés se faisaient  plutôt prendre à voler les derniers tubes sortis, les cons !  Ils ne savaient pas ce qui était bon ! Lui c’était le passé qu’il voulait ramener à la vie. Pour que jamais plus un morceau ne disparaisse. Il était investit d’une mission divine : sauver la musique du néant ! Il partait depuis chaque matin au boulot l’âme légère, le cœur content. Chez lui l’ordinateur branché jour et nuit continuait d’avaler goulûment des morceaux de musique, et au retour un cadeau l’attendrait sûrement : un nouveau mp3.


Publié dans 40 voleurs

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article